Les copropriétés dégradées

 

Face à un enjeu majeur de Société, le rôle croissant des partenaires publics dans l’identification, l’anticipation et le traitement des difficultés.

La définition de la « copropriété en difficulté » peine à se figer, tant cette notion est protéiforme et se traduit dans les faits de façon différente d’une copropriété à l’autre. La seule évidence est que nous assistons à une amplification et une accélération de la dégradation des copropriétés en France. Les dramatiques épisodes de la rue d’Aubagne à Marseille début novembre 2018, ou encore très récemment à Lille, sont évocateurs et posent nécessairement la question de l’anticipation. A ce titre, les partenaires publics, au rang desquels figure en première ligne les Maires, jouent désormais un rôle de plus en plus important.

Maître Nicolas DESHAYES, Administrateur Judiciaire associé, AJASolutionsCopro

Pour le Code de la construction et de l’habitation, une copropriété est en difficulté lorsqu’elle est confrontée à « de graves difficultés sociales, techniques et financières résultant notamment de complexités juridiques ou techniques et risquant à terme de compromettre (sa) conservation… » et ainsi lorsque le syndicat est « dans l’incapacité d’assurer la santé et la sécurité de ses habitants… »

La définition demeure volontairement large tant il est difficile d’être précis mais surtout qu’il est nécessaire d’y inclure le riche panel de la « réalité de terrain ».

La copropriété a beau relever de la sphère privée, le traitement de ses difficultés est devenu un enjeu (d’ordre) public de premier plan.

Pour preuve, le foisonnement législatif de cette dernière décennie qui recense pas moins de quatre lois et deux décrets dédiés à la copropriété et ses difficultés (loi du 25 mars 2009, loi ALUR du 24 mars 2014, loi du 27 janvier 2017, loi ELAN du 23 novembre 2018) là où sur les 40 années précédentes, on ne compte qu’un texte majeur depuis la loi du 10 juillet 1965 : la loi du 21 juillet 1994, dite « loi sur l’habitat », premier texte envisageant concrètement la notion de copropriété en difficulté.

L’accélération de la dégradation des copropriétés impose de ne plus traiter uniquement l’urgence avérée mais d’anticiper au maximum la survenance des difficultés et d’en prévenir leur aggravation.

Si désormais les dispositions des articles 29-1 et suivants de la loi du 10 juillet 1965 opèrent une triple distinction entre les copropriétés en difficulté : la copropriété en pré-difficulté dite « fragile », la copropriété en difficulté avérée et enfin, « l’arsenal lourd » réservé aux cas les plus complexes et dégradés, il n’en demeure pas moins que l’action publique est désormais déterminante et ce, à tous les stades.

Au sein de l’intervention publique, celle de la Commune est désormais quasi-systématique et plus ou moins prégnante :

image réunion avec les partenaires

Communication, Mesures de police, Prise d’arrêtés de péril, Participation aux dispositifs (OPAH, POPAC, PDS, PRU, ORCoD, …), Financements, Saisine de la juridiction aux fins de désignation d’un mandataire ad hoc ou d’un administrateur provisoire, Préemption urbaine, Acquisitions ou portage au sein de la copropriété de parties communes, logements, éléments d’équipement, Autorité expropriante, …

La liste n’est pas exhaustive, mais elle démontre aisément le rôle grandissant de la Commune dans le diagnostic, l’anticipation et le traitement des difficultés des copropriétés relevant de son territoire, tant les capacités financières des habitants ne correspondent pas à la réalité du coût de la rénovation et du redressement de leur immeuble. Les nouvelles contraintes règlementaires liées aux économies d’énergie vont mécaniquement accroître le nombre d’ensembles immobiliers exposés au défaut d’entretien et aux difficultés financières, avec à chaque fois, un besoin des citoyens de se tourner vers les maires.

Selon la taille de la commune, la compétence est soit propre, soit déléguée à l’établissement public de coopération intercommunal (métropole) et plus ou moins structurée au sein de services dédiés à la question.

Quelle que soit l’organisation, la réussite du sauvetage d’une copropriété passe par la mise en place d’une relation concrète avec les copropriétaires afin de remobiliser ces derniers. Trop souvent, les partenaires publics se heurtent à l’inertie des copropriétaires (majorité de copropriétaires bailleurs, conseillers syndicaux sujets à conflits internes, absentéisme aux AG) et aux pouvoirs limités du syndic peu enclin à s’investir davantage dans une mission dans laquelle sa responsabilité pourrait être engagée.

Un excellent moyen de s’affranchir de cette difficulté passe par la désignation judiciaire d’un administrateur provisoire, intervenant incontour¬nable du traitement de ces copropriétés, ayant pour mission de « prendre les mesures nécessaires au rétablissement du fonctionnement normal de la copropriété ».

 

L’administrateur judiciaire : un professionnel dédié au traitement des difficultés des copropriétés.

Désigné par le Juge, il constitue un interlocuteur incontournable pour mettre en œuvre les mesures de redressement d’une copropriété en sécurisant les dispositifs d’intervention publique ou, lorsque celui-ci est manifestement impossible, en accompagnant la reconversion de certains ensembles immobiliers.

Maître Nicolas DESHAYES, Administrateur Judiciaire associé, AJASolutionsCopro

Il faut balayer les idées reçues !

L’administrateur judiciaire est avant tout une personne de terrain, professionnel règlementé, désigné par décision de justice, chargé de la sauvegarde d’un intérêt collectif.

- Personne de terrain : c’est-à-dire accessible, réactif et technicien.

- Professionnel règlementé : son statut d’auxiliaire de justice fait de lui l’un des professionnels les plus contrôlés, notamment au titre des fonds détenus pour le compte de tiers ; il dispose à ce titre d’une garantie obligatoire et tous les fonds sont placés à la Caisse des Dépôts et Consignations.

- Désigné par décision de justice : le mandat de justice confère une autorité judiciaire à son intervention mais suppose en contrepartie qu’il rende des comptes régulièrement et que sa mission lui est personnelle, le recours à la sous-traitance par un tiers étant exceptionnel et devant être expressément autorisé.

- En charge de la sauvegarde de l’intérêt collectif : il est indépendant et préserve des conflits d’intérêts.

Transposé à la copropriété en difficulté, l’administrateur judiciaire peut être désigné mandataire ad hoc (diagnostic préventif découlant sur des propositions de redressement à mettre en œuvre dans un délai contraint) ou administrateur provisoire (traitement curatif), selon la situation.

En tant qu’administrateur provisoire, investi des pouvoirs du syndic qu’il remplace, il peut se voir confier par le Juge tout ou partie des pouvoirs de l’assemblée générale et du conseil syndical, ce qui permet de rompre l’immobilisme du syndicat au travers d’un processus décisionnel simplifié, après consultation des copropriétaires. Renouvelable annuellement, son mandat va ainsi permettre aux partenaires publics de disposer d’un interlocuteur à même d’engager les mesures appropriées dont les seules limites seront leurs modalités de financement et la Loi.

Ainsi, sur le plan comptable, il s’agira d’assurer la reprise des comptes et leur redressement en vue de leur approbation afin de restaurer la sincérité de la situation financière du syndicat mais aussi le lien de confiance souvent rompu avec les copropriétaires. Ce travail garantit aux partenaires publics une objectivité comptable totale pour arbitrer leurs choix d’intervention. Cela permet aussi d’engager les procédures de recouvrement d’impayés de charges en choisissant les procédures selon leur coût, leurs chances de succès, leur durée, leur efficacité ; sur ce point le syndicat sous administration provisoire de l’article 29-1 de la Loi du 10 juillet 1965 est éligible à l’Aide Juridictionnelle afin de recourir aux services d’un avocat à moindre coût.

Sur le plan technique, il s’agira d’assurer la maîtrise d’ouvrage des travaux d’urgence de mise en sécurité et garantir la bonne affectation des subventions et des préfinancements, sommes sur lesquelles il engage sa responsabilité civile professionnelle. Enfin, de plus en plus fréquemment, il s’agira d’engager toutes les démarches de nature à lever les arrêtés de périls et autres décisions des autorités locales frappant un immeuble afin de restaurer une sécurité suffisante.

Sur un plan juridique, les actions de l’administrateur consisteront à négocier avec les créanciers du syndicat et travailler au cantonnement de la dette, dont une part importante est souvent liée aux communes (eau, chauffage urbain, taxes, …), élaborer des propositions de remboursement compatibles avec les capacités futures du syndicat, valoriser des actifs en vue de dégager des produits exceptionnels à flécher vers le désendettement, rétrocéder certains espaces communs aux collectivités mieux à même d’en assurer la gestion et l’entretien.

image rénovation

Dans les copropriétés au sein desquelles nous intervenons, nous participons aux côtés des partenaires publics à l’élaboration et à la mise en œuvre de dispositifs publics (plan de sauvegarde, plan de rénovation urbaine, …), à la constitution de syndicats secondaires ou la création d’unions de syndicats afin de « diviser les difficultés » pour mieux les traiter ; Nous assurons la gestion des parties communes du syndicat en phase d’expropriation, comme c’est le cas en Seine Saint Denis, en phase de procédure de carence, comme à Saint Etienne du Rouvray ou à Marseille ; nous accompagnons des solutions de portage, par exemple avec la Caisse des Dépôts et Consignations Habitat à Montargis ou Nogent sur Oise ou avec l’Etablissement Public Foncier. Enfin, il peut nous être confiée la liquidation d’une copropriété, après une scission judiciaire (comme nous le faisons à Grigny), un retrait, une expropriation (Saint-Denis), une démolition ou un recyclage de la copropriété (Clichy-Sous-Bois).

La complexité grandissante des difficultés rencontrées par les copropriétés et l’augmentation des dispositifs publics dédiés à les soutenir implique l’intervention de professionnels aguerris, soumis à des règles strictes d’indépendance, de formation permanente et d’expérience, contrôlés par le Juge, afin de garantir la protection des intérêts en présence. Ce que sont les administrateurs judiciaires.

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